Cent une expériences de philosophie quotidienne - Roger-Pol Droit

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La première gorgée de philosophie

Expérience : lire le dernier livre de Roger Pol-Droit. Durée : une heure et demie environ. Matériel : le livre et un cerveau (le sien de préférence). Effet : ludique.

Il est assez rare qu'un livre nous demande de le refermer toutes les deux pages. Et si le dernier livre de Roger Pol-Droit nous invite allègrement à le faire, ce n'est pas pour méditer sur la profondeur théorique des thèses qu'il avance, mais pour nous propulser au milieu de la rue et nous pousser à toutes les pitreries possibles. Au rendez-vous : cascades intellectuelles, chasse aux idées saugrenues, mise en scène de notre imagination, épopée rocambolesque d'un philosophe qui s'ennuie et qui, comme font ingénuement les enfants, s'invente des jeux d'esprit en tous genres. Intrépides et curieux que vous êtes, vous allez donc ouvrir ce livre, surmonter le défi de cette expérience inédite.

Au début vous doutez de ce que vous tenez dans les mains et qui va vous tenir plus d'une heure : est-ce de la philosophie ? Est-ce de la foutosophie ? Mais l'introduction vous avertit d'entrée : ne voyez dans ces diverses expériences qu'un "jeu", ou tout au plus une activité initiatique… Vous poussez un petit 'ouf' de soulagement, parce que vous avez eu peur deux secondes de devoir remplir un questionnaire final évaluant votre quotient philosophique.

Vous vous laissez donc prendre par la main, gentiment, discrètement amusé à l'idée des surprises que vous attendez, secrètement respectueux de ce grand nom de la critique, qui nous accorde deux cent cinquante pages de son précieux temps pour nous faire réaliser que "je" est certainement un autre, que le monde est petit, que les fourmis sont drôlement astucieuses, que ça fait tout bizarre de débrancher le téléphone toute une après-midi… Mais vous n'avez pour l'instant fait que parcourir la table des matières. Or notre agitateur cérébral demande tout de même un peu de sérieux, assez au moins pour jouer le jeu dans les règles de l'art. C'est là que ça se complique: parce que le sourire en coin que vous portez en survolant le sommaire devient froncement de sourcil au moment où vous frappez à la première porte de ce labyrinthe de "philosophie quotidienne" (et ne vous demandez pas trop ce qu'est la philosophie hebdomadaire, je crois que c'est une impasse).

La toute première fois

Première expérience : "S'appeler soi-même". Comme vous êtes un fan, vous n'avez pas eu la patience d'attendre, pour ouvrir le livre, d'être rentré chez vous, assis dans un fauteuil philosophique, devant un feu de cheminée philosophique, en écoutant votre musique philosophique préférée. Non : vous êtes par malchance coincé dans le métro, et vous devez renoncer à vous appeler vous-même tout fort, à haute voix, comme nous y incite cette première expérience. Vous ne pouvez donc pas éprouver votre inquiétante altérité au milieu de la foule. Qu'à cela ne tienne : vous continuez en imagination, risquant ainsi de lire le livre d'une traite, et de ne faire réellement aucune des expériences proposées… Fan sans être fanatique.

Métro c'est trop!

Donc, vous cherchez une expérience qui soit réalisable dans le métro : "S'amuser comme un fou"; "Chercher un aliment bleu"; "Se mettre à genou pour réciter l'annuaire"; "Tuer des gens dans sa tête"; "S'arracher un cheveu"; "Dire à une inconnue qu'elle est belle"… lorsque vous tombez soudain sur une perle : "Prendre le métro sans aller quelque part". Toujours confiant en votre gentil gourou, vous décidez bravement de ne pas descendre à votre station, tout excité à l'idée de vivre la philosophie en direct live, fier de prendre à rebrousse poil vos habitudes les plus saines et les plus rationnelles. Non aux vues réduites des érudits ! Oui à la longue-vue des philosophes du quotidien ! Seulement voilà : à peine deux stations que vous vous éloignez de chez vous et vous êtes déjà en train de douter. Non de vous-même, de l'existence de Dieu ou de celle du monde, mais de la teneur du livre que vous tenez : ne serait-ce pas un peu trop "à la Delerm"? Ne se cache-t-il pas un peu de complaisance dans ces courtes pages, qui proposent certes des expériences amusantes, mais qui font un peu trop confiance à la bonne volonté du lecteur ? Est-ce nécessaire de ne jamais citer aucun des philosophes dont on s'inspire, l'écueil du pédantisme est-il si dangereux?

Un peu déboussolé, vous descendez promptement à la station suivante, histoire de prendre à contre-pied votre furtive rébellion. Vous rebroussez aussi le cheminement mental qui vous a amené jusqu'ici, un peu agacé de vous être laisser jouer, au lieu de vous amuser vraiment. Même si les expériences proposées sont réellement amusantes, vous vous rendez-compte que vous avez soif d'une vraie bière, plutôt que d'une gorgée isolée. Soif d'expériences qui se voudraient un peu moins initiatiques et qui vous remueraient un peu plus les entrailles (à-t-on vraiment le temps, en deux pages ?)

Un tramway nommé délire

Quelque peu troublé par tous ces événements, vous voici à un pas de votre premier pas de sagesse : ne pas s'énerver seul dans le métro, surtout pas contre un livre qui ne vous a rien fait. Pire : ce livre vous prévenait qu'il ne fallait pas prendre tout ça trop au sérieux, que ces légers délires de l'imagination ne devaient pas vous mener au bord d'un vrai délire. Alors calmez-vous donc un peu, essayez-vous à rire de toutes ces facéties intellectuelles, et promettez-vous sagement de ne plus lire ce livre… que dans le métro.