Après la colère - Gérard Miller

· 574 mots · Temps de lecture 3min

« Un peu de rouge au front »

Le bouffon du Roi se devait de présenter au monarque les vérités les plus dures sous le jour le plus cru, pour peu qu'un brin d'humour s'en mêle. Et Gérard Miller s'est toujours conformé à cet impératif du ton humoristique, jusqu'à ce fameux jour de la colère - colère à laquelle son personnage médiatique le prédisposait néanmoins plus qu'un autre.

Tant que l'on reste à l'intérieur du cercle des médias, dans la sphères des divertissements, il faut arrondir les angles. Comme il le dit lui-même: "la télévision est un média rond." (p. 9) Mais dès lors que l'angle devient trop tranchant, c'est qu'on a utilisé les médias plutôt que de les servir. Et cette manière de se servir des médias fait que l'on passe du statut de commentateur intelligent et humouristique, à celui d'intellectuel qui s'engage avec ses idéaux. Cette transition périlleuse, avec ce qu'elle contient de maladresses et de mérite, est l'enjeu véritable de ce petit livre.

Toute une histoire…

Gérard Miller était coutumier de ce genre d'engagement. Ce qui est nouveau pour lui, c'est cette interférence entre un épisode télévisuel et une publication d'intellectuel. D'où un certain malaise, comme en témoigne la baisse de popularité de Gérard Miller: comme si l'intelligence de l'humour interdisait l'engagement de l'intelligence. On ne pardonne pas aux bouffons de faire de la politique. Le problème, c'est que le livre de Gérard Miller n'est pas un pamphlet politique (comme on le croit trop facilement) mais le reflet disgracieux de tout un volet de l'histoire française, volet encore sujet à une sorte de désinformation passive et d'ignorance consentie. C'est un essai journalistique d'histoire, à mille lieu des théories strictement politiques et au plus près d'une actualité qu'on aimerait plutôt oublier.

Revenant sur la question de l'existence d'un fascisme "à la française" durant la seconde guerre mondiale, il fait l'inventaire des traces que, de Vichy à nos jours, le courant fasciste a laissées dans l'histoire. Ce courant ne s'est certes pas essentiellement concrétisé sous forme de factions paramilitaires surorganisées comme en Allemagne où en Italie, mais cela ne l'a pas empêché de se diffuser de manière plus en moins explicite dans toutes les couches de la société. Du zèle bureaucratique français dans la persécution des juifs sous Vichy à la haine raciale constamment entretenue par Minute, c'est tout un subconscient populaire qu'il s'agit de traquer. Le livre se présente donc comme une sorte de musée des horreurs bien pensantes de la France fasciste, où l'on découvre un peuple qui s'entraîne lui-même à penser ce que certains disent tout haut, sans autre honte que celle de ne pas avoir soutenu ces absurdités avant les autres. Tant d'abjection en si peu de pages, voilà la force rare de l'ouvrage.

Moralité ?

On dira facilement que Gérard Miller a beau jeu de faire la morale aux autres. Le contenu de son livre n'apporte véritablement rien de nouveau à ce que l'on sait déjà, de manière dispersée, du racisme de Minute ou de l'antisémitisme français. Mais sa "colère" et la maladresse dont on l'a immédiatement accusé méritaient explication. Que cette explication puisse décider chacun à devenir responsable de ce qu'il pense, puisse informer la jeunesse d'un passé qu'on nous fait croire lointain, voilà qui ne gâte rien à l'entreprise. La seul morale générale qu'on puisse tirer de cet épisode doublement médiatisé est que le livre supporte certainement une plus grande dose de vérité que la télévision…