Dans ces bras-là - Camille Laurens

· 633 mots · Temps de lecture 3min

Les beaux bras

Camille Laurens délivre l'homme de ses clichés (la force brute, la cruauté, la vulgarité ordinaire, la bonhomie sans soucis, etc.) pour le livrer à ses démons. Qui est l'homme ? Qu'est-ce que « l'homme de sa vie » ? L'homme est-il vraiment de la vie, lui qui est comme un mort qui jouit, au lieu d'être un vivant qui aime ? Exploration sans merci de l'homme et de l'amour, valse tragi-comique qui n'évite pas quelques faux-pas.

Toutes ces questions nourrissent l'avancée de la narration au creux de l'exil : un endroit où la question de savoir ce qu'est l'homme n'aura plus de sens, puisqu'il s'agira seulement de se déclarer à cet homme en face de soi, psychanalyste puis lecteur, destinataire anonyme. Une quête de la nature masculine qui donne parfois envie de répondre : on ne naît pas homme, mais on le devient. Mais justement, devenir un homme, c'est quoi ? Camille Laurens traverse toutes les métamorphoses possibles pour entrer dans la peau de cette entité fuyante, identité masculine. L'ampleur du défi se mesure à l'échec toujours possible : tomber dans la généralité, manquer cette singularité. Parmi les rêves d'incarnation de cet extrait d'essence masculine, cette épure, ce nombre d'or de la géométrie des sentiments masculins, un homme qui s'avancerait et dirait simplement : « Je suis l'homme. », avec l'article tout à fait déterminant. Autre écueil, collectionner les fais et les anecdotes en vue de confectionner un homme, alors qu'on ne fera que lui insuffler notre sens des choses, notre science des autres et la perspective (féminine) du haut de laquelle se laisse embrasser la vie.

« L'amour n'est pas une relation sociale. »

Mais la quête de l'homme ne se réalise que dans l'amour, dans cet espace partagé qui sépare les amants, les laisse abandonnéndonnés chacun à leur solitude. C'est à ce moment que le livre touche au plus juste et au plus douloureux. Chassant les fausses définitions qui menacent de toutes parts (l'homme serait laconique, à l'image du père, l'homme serait négligent des tâches secondaires, etc.), l'auteur trace comme un cercle de feu autour de ce point central, point qu'elle enserre entre ses mots jusqu'à l'étranglement, jusqu'au mutisme. Ici, c'est la solitude de l'homme qui apparaît au grand jour, solitude que porte vaillamment le corps de l'athlète au bord de rompre son record, solitude du corps qui se disperse généreusement dans la jeunesse, puis se rétracte discrètement dans la vieillesse, ne faisant plus l'amour qu'à titre de preuve d'existence, pure épreuve de soi. Solitude du père abandonné, du mari trompé, du frère impossible, du Christ tant aimé. Solitude déclinée à l'infini, jusqu'un déclin ultime de l'amour enfin mort.

Un bras raccourci?

Parfois, une dialectique un peu lourde du même et de l'autre, une rhétorique aux rouages pompeux vient alourdir le récit et lui donner les fausses apparences de la prose poétique. De même, la multiplication incessante des allusions littéraires, si elle brouille astucieusement la ligne de partage entre réel et fiction, conduit aussi à faire sentir, derrière l'écriture, le désir (vain ?) d'être écrivain. Enfin la brièveté des chapitres contraste avec la longueur relative du livre, ce qui renforce les intentions de prose poétique, mais élimine toute capture définitive du lecteur, trop laissé en suspens.

Si, c'est un homme.

Trois cent pages se tissent donc autour de l'homme-objet, du sujet « homme », sorte d'autopsie amoureuse d'un être qui n'existe jamais tant que lorsqu'il nous échappe. Camille Laurens a le sens des mots et de leur précision : à plusieurs reprises, elle réinvestit la langue commune d'un sens nouveau, plein d'une évidence rajeunie. Avec humour, elle se promène dans son musée d'hommes, anime ironiquement quelques unes de leurs figures figées, pour s'interroger enfin sur sa condition féminine et conclure - amnésique : « J'ai un trou. »