Dialogues avec Platon
Ce livre recueille les notes de cours de Louis Guillermit concernant les dialogues platoniciens. Le premier tome ici présenté se préoccupe de dialogues qui, passant pour mineurs, n'en sont pas moins de vrais joyaux philosophiques. Les redécouvrir avec Louis Guillermit est un vrai plaisir, lui qui s'est appliqué toute sa vie à rendre l'éclat vivant de cette philosophie dans des cours où la parole se faisait aussi libre que la pensée. Le support écrit de ces cours nous est restitué ici dans la richesse de sa rigueur.
Du silence de l'écrit…
On sait la méfiance que nourrissait Platon à l'égard de l'écrit. Ses griefs sont détaillés pour la plupart dans le Phèdre. D'une part les discours écrits comportent une force de conviction artificielle, la vérité dont ils sont le signe est moins celle d'un acte vivant de la pensée que celle d'un effet produit par le texte. D'autre part, les discours écrits s'adressent à tous, donc à n'importe qui : en l'absence de leur auteur, il n'est personne qui puisse réellement les défendre, en assurer l'autorité. Enfin, l'écrit n'est pas un remède au problème de la mémoire, mais seulement un auxiliaire à la remémoration : avec un discours en poche, on se dispensera d'en connaître la vérité par coeur, et l'on se dispensera ainsi d'avoir un coeur prompt à juger correctement de la vérité. Autant la parole sait nous déranger dans l'intimité de la pensée - ce dérangement étant l'amorce de toute entreprise philosophique - autant l'écrit ne fait que s'arranger sous nos yeux, inerte face à notre bonne ou mauvaise volonté.
Puisque nous n'avons de Platon que ses écrits, un cours sur le platonisme représente un triple défi : restituer la vérité vivante des dialogues, retrouver l'autorité philosophique de Platon derrière chaque parcelle de dialogue, faire un travail de mémoire qui nous mènera à une appréhension intérieure de la vérité platonicienne plutôt qu'à une connaissance objective d'un quelconque système. Si on ne parvient pas à relever ces défis, on tombe dans le piège de l'écrit, piège que Platon analyse lui-même avec assez de rigueur pour qu'on puise être facilement pardonné en tombant dedans.
Quand de plus nous n'assistons pas à un cours oral, mais que nous avons sous les yeux les notes écrites qui ont servi à sa préparation, le défi est encore plus grand : comment des notes de cours pourront-elles rendre vivante la pensée qui devra s'élever jusqu'à la pensée elle-même vivante de Platon ? C'est arrivé à ce point qu'on mesure l'aspect paradoxal de cette publication, quand bien même il serait à la mode de fouiller les tiroirs philosophiques à la recherche de quelque secret philosophal caché dans des brouillons.
… à la pensée vivante
Mais la réussite de l'ouvrage est à la hauteur de ce paradoxe. Lire les commentaires de Louis Guillermit est une merveilleuse façon de donner vie et sens à la pensée platonicienne. L'écrit n'est pas ici archive ou simulacre de pensée : il nous jette au coeur de ce qui fait l'intuition platonicienne, nous laisse entrevoir un modèle idéal d'activité pensante derrière le signe palpable de la pensée dialoguée. Le sérieux des annotations, les nombreuses références au grec, les mille détails de ton que relève Louis Guillermit, tout cela contribue à faire de ce livre un modèle du genre, où les sinuosités de l'écrit rendent la pensée encore plus claire.
Et si le dialogue était, pour Platon, « l'unique antidote possible à la nocivité de l'écrit, le seul moyen de préserver ce qui est essentiel à la philosophie, une recherche vivante et interminable qui ne saurait se figer dans des dogmes » (p. 11), les notes de cours en sont peut-être l'équivalent rhétorique pour Louis Guillermit, car ces notes ne forment finalement qu'un long dialogue avec Platon. Nourri d'une large culture philosophique et d'une connaissance amoureuse de la langue grecque, ce dialogue érudit nous aide non seulement à penser Platon, mais surtout à penser avec Platon.