Le désert fait vivre
Michael Ondaatje est un revenant. Avec le Patient Anglais , il traversait son premier désert littéraire: comme on sait, sa voix y a trouvé d'innombrables échos, même hors de la littérature. Aujourd'hui, il revient avec Le fantôme d'Anil, parcourant avec nous le Sri Lanka des années 1990. Le désert n'est plus ici de sable, mais de silence: une histoire qui a un pied dans la réalité, un autre dans la fiction, et qui fait du silence des morts la vraie patrie des mots.
Il s'agit bien d'une histoire de fantômes: Anil est envoyée au Sri Lanka par une organisation internationale pour enquêter sur des disparitions douteuses. De page en page, on déterre quelques maccabées, on ausculte le moindre bout d'os à la recherche d'un secret. On entend ces corps morts, on les écoute mourir un peu plus, à chaque seconde de leur survie minérale, survie vitale pour l'enquête. Mais en plus de ces fantômes, traînant dans quelque sombre sous-sol de l'histoire récente, les personnages eux-mêmes ne sont qu'ombres et trompe-l'oeil. Le collaborateur d'Anil s'oublie dans la frénésie de la recherche, un cynisme de parure le cachant à lui-même. L'amant d'Anil se tient sur la scène étroite reliant le lit au sommeil, et le repos au rêve. Enfin Anil ? prénom volé à son frère quand elle était adolescente ? reste suspendue à une identité aléatoire, tantôt froide devant le froid de la mort, tantôt fièvreuse devant l'agitation des événéments.
Mais que se passe-t-il?
Nous n'avons donc aucune difficulté à entrer dans l'atmosphère mi-macabre mi-rêveuse du roman. La langue de l'auteur, aussi aride qu'éloquente, transforme la suite des événements en une rocaille épineuse, chaque acteur semblant être en même temps spectateur de son destin. L'intrigue aux allures policières ne tombe jamais dans le pur procédé, et l'enquête est plus spirituelle que réelle. Mais on sort de ce roman sans trop savoir ce qui c'est passé, malgré la certitude d'un événement intense. On a beau y retourner en imagination, la courbe dramatique est trop sinueuse, les événements trop épars pour qu'on saisisse d'un seul coup d'oeil l'unité de l'ouvrage. Peut-être est-ce l'un des effets de ce silence désertique? Peut-être un film saurait-il mieux rendre cette atmosphère étrange? C'est à craindre.