Impasciences - Jean-Marc Lévy-Leblond

· 570 mots · Temps de lecture 3min

Prendre le temps de comprendre

Réunissant quelques chroniques des dernières années (parue pour la plupart dans la revue Eurêka), ce petit livre délicieux saura interloquer ceux qui sont déjà familiers de la science et attiser la curiosité des profanes. Et si la vulgarisation se mettait à devenir intelligente? Et si la science sortait un peu des clichés qui l'assaillent de toutes part - voire même qui naissent en son sein? Ce sont quelques uns des défis qui motivent l'ensemble de ces chroniques, menées bon train et avec humour par un connaisseur désireux de partager ses connaissances.

Deux mots d'ordre: 1/ Cultiver les scientifiques - non seulement pour exposer enfin leurs oeuvres d'art, mais surtout pour augmenter l'intelligence qu'ils ont de leur propre discours et de la manière dont ce discours scientifique peut être reçu par un profane. 2/ Introduire la science au sein de la culture générale, de manière à éviter qu'elle soit totalement déracinée de son passé. Mots d'ordre qui ne représentent finalement que les deux faces complémentaires et inséparables d'un même processus d'acculturation scientifique, processus donnant à la science contemporaine une épaisseur temporelle qui lui permette de prendre un peu de recul sur l'histoire qu'elle est en train de construire.

Se ressourcer

On sera peut-être surpris par de nombreuses invocations à (re)lire les "Anciens": il ne s'agit pourtant pas pour Jean-Marc Levy-Leblond de traditionnalisme, de passéisme, ou même de cette menaçante nostalgie du temps où la science entière paraissait pouvoir tenir dans le cerveau d'un seul homme, plus communément appelé "génie". D'abord parce que la tradition n'est rien si elle n'est apprise et discutée avec respect, ensuite parce qu'il faut savoir accepter que le passé soit passé, et que les hommes aient pu se tromper, enfin parce que l'idée même de science "entière" est un fiction de l'imagination, certes stimulante du point de vue de la recherche, mais aujourd'hui paralysante pour celui qui cherche à être un génie… Non: ce retour aux Anciens tel qu'il est recommandé par notre chroniqueur reste une manière de reculer pour mieux sauter, de savoir d'où vient la science pour mieux savoir où elle va (et où elle peut aller).

Éviter la vulgargarisation

Ainsi, au fil de ces chroniques espiègles et paradoxales, nous nous faisons une meilleure idée de ce à quoi ressemble aujourd'hui la recherche scientifique, et de ce à quoi elle devrait ressembler. Le tout pour éviter de vivre dans l'angoisse permanente des erreurs dites "de la science", ou pour ne pas en rester au fantasme d'un futur facile, futur dans lequel nous passerions notre temps à ordonner à des robots de passer d'autres ordres à d'autres robots…

Jean-Marc Levy-Leblond se dresse habilement contre le piège qui menace en premier la vulgarisation: trop simplifier le passé, tomber dans l'illusion rétrospective consistant à comprendre l'histoire des sciences qu'au travers des clichés scientifiques que véhicule le présent. Nous devrions dès lors pouvoir nous passer de cette image trop simple d'un rationalisme faisant de la vérité une idée qui n'aurait qu'à se présenter nue pour que nous épousions toutes ses formes. Non: la vérité se découvre aussi par ruses et détours, le plus utile étant souvent le détour par l'immense musée des erreurs qui nous ont précédées. Aussi l'auteur propose-t-il une mise en valeur de l'échec scolaire comme propédeutique à l'humilité que nous devons toujours conserver face à ce que nous ne savons pas encore - ou face à ce que nous savons mal.