La juive - Colette Mainguy

· 553 mots · Temps de lecture 3min

Un bel exemple de mise en acte

En un dialogue serré avec son psy, Colette Mainguy cherche à puiser quelques bouffées d'oxygène. De fait, dans le tourbillon familial, il n'y a eu de place que pour les faux-semblants de la réputation, les mesquineries du secret, la violence de comportements qui ne trouvent pas où s'exiler. Un torrent boueux d'énergies qui se recroquevillent sur elles-mêmes, jusqu'à l'écoeurement. Un harcèlement moral et physique dont l'insidieuse permanence fait oublier à l'enfant qu'il est une personne.

Au centre de ce tourbillon, oeil serein du cyclone familial, une mère exubérante : fascinante de vitalité et d'intelligence, elle concentre les regards sur elle, se fait louer pour ses aptitudes maternelles, lesquelles consistent pour l'essentiel à supporter d'avoir eu dix enfants. Pour ce qui est de les connaître, de les voir grandir, d'équilibrer les rapports que ces enfants ont entre eux, pas question ; plutôt sauver les apparences qu'affronter les abus sexuels du grand frère sur la petite soeur. L'enfant se construit entre ce déni silencieux de maternité et l'autorité crispée d'une grande soeur tyrannique. Ne restent pour vivre qu'un rejet de soi et une recherche tortueuse de ce que sont réellement les autres, les "grands", au-delà même de la peur. Mais les appels d'air d'un milieu extérieur tardent à venir tant les déménagements, la réputation du père et les tensions intérieures obligent le clan à vivre clos sur lui-même.

Moi et mes autres.

Seules armes à double-tranchant dans ces rapports tourmentés avec le clan : les différentes identités qui s'emparent de l'enfant et dont l'enfant se pare. Identité de "la juive", suite à une remarque désobligeante de la grande soeur sur le nez de la petite : du coup, la famille devient le clan de concentration, les ennemis sont forcément et férocement "nazis", tout l'imaginaire de l'auteur se met en scène dans cette idée de persécution. L'enfant s'y forgera un caractère puissant, trouvant dans le journal d'Anne Franck une source vive d'émulation, vivant l'actualité des questions juives à fleur d'entrailles. Identité encore de Marie d'Agoult, personnage historique exploité par la fantasmagorie maternelle, figure ambiguë de la séduction et du mépris, du rayonnement social et du vide intérieur, figure dont la faille vertébrale supporte la complexité du rapport mère-fille, fait de rivalité intellectuelle et d'érotisation rampante. En revêtant ces personnalités, Colette se protège et trouve prise. On y retrouve l'ambiguïté des relations qu'elle entretient avec sa famille, d'amour et de répulsion, cette ambiguïte qui ne la quitte pour ainsi dire qu'à la toute fin du travail d'analyse, relayé par l'exercice de l'écriture.

« Ça sera moi. »

Les paroles du psy, égrénées discrètement le long du douloureux cheminement, portent en elles la volonté de s'effacer. Le moi retrouvé de l'auteur éclipse soudain le réseau de fantasmes qui le tenait prisonnier. À l'oeuvre, le travail libérateur de l'écriture - une écriture si vivante qu'elle chante à elle seule la joie de la liberté recouvrée. Tout au long de cette douleur, on ne trouve rien qui tienne de l'apitoiement ; plutôt une sorte d'aboiement répété, une rage, une manière sourde de vouloir se faire entendre, tout en restant secrètement aux abois, à surveiller un quelconque geste de tendresse, le moindre signe qui soulagerait un instant l'auteur de ce moi imaginaire que les autres imposent. Une belle mise en acte de l'identité retrouvée.