Mon amour - Yves Charnet

· 499 mots · Temps de lecture 3min

Récit de décomposition

Yves Charnet laisse sa vie et ses humeurs s'éparpiller ; quelques copeaux d'une existence que rien ne viendra reverdir, quelques copeaux que l'on préfère brûler, lueur dernière et chaleur soudaine. Ainsi bercé, de lente nostalgie en espoir insondable, le coeur a ses malheurs que la raison connaît trop bien.

Yves Charnet ne joue pas le jeu trop à la mode des confessions impudiques. S'il peut dire son amour et sa difficulté d'aimer, ses absences et manquements, c'est parce que l'intimité gagne à chaque phrase une dimension universelle. A la manière des épopées intimistes de Marcel Jouhandeau, un grand courant de fraternité traverse chaque mot, une tendresse envers l'homme et la vie qui fait fondre toute fausse compassion ; lucidité cruelle qui permet seule l'absolution. Un vague à l'âme nous gagne qui n'est pas que tristesse, une déception qui va au-delà de toute amertume. Par le biais de la distance littéraire, chaque sentiment quotidien atteint en son sommet une forme qui n'est plus psychologique, une intensité qui les libère de leur lieu d'origine pour les faire voyager en chacun.

L'être d'amour

Ce roman n'est en fait qu'une longue lettre d'amour. Et lorsqu'il s'agit de lettre dont on est pas sûr qu'elles seront un jour envoyées, on commence par s'écrire à soi-même, par se décrire la vie déçue, l'amour perdu. Les évocations du passé se mêlent aux surprises du quotidien, Yves Charnet fouille en arrière pour mieux rire au présent. Il trouve dans l'écriture la distance de respect qui le tient hors de toute douleur - du moins de celle qui réduit au silence.

Contre ce mortel silence, l'auteur fait du langage son arme de résistance. Pour cela, il suffit de ne plus résister aux « hasards objectifs » de la langue, à l'engagement de la parole dans l'arène vierge de la page. Les jeux de mots sont des branches mortes auquelles se rattraper dans le vide du langage, mais le jeu des mots est l'espace libre qui en dit toujours plus. Et Yves Charnet laisse les mots jouer leur propre mélodie, sachant bien toutefois que leur musique ne sera jamais que l'expression de sa vie.

Point de fin

Le coeur ne sait plus où habiter, ni où aimer, ni où se contempler: sans mire ni maison. Si ce n'est Toulouse et la maison familiale des vacances, lieux fantomatiques qui dévorent des automates. Le soleil écrase de sa chaleur un corps enkylosé, le silence éteint de son ampleur une poésie emprosée, jusqu'à ce que le soleil devienne à nouveau source de joie, jusqu'à ce que la poésie de Nougaro vienne mettre un peu de lumière dans l'existence. Et, comme le café noir amer revivifie plus profondément que les boissons colorées, c'est à la racine du mal que jaillit le remède.

Le récit avance ainsi, sans autre objectif que d'échapper à l'effort d'un but. L'écriture en est parfois hachée, elle met les phrases au pas. Mais c'est pour mieux laisser surgir quelques hoquets de lyrisme dans l'ordinaire du cynisme.