La mort de C - Gabrielle Wittkop

· 498 mots · Temps de lecture 3min

La mort fait des manières

Les voyages de Gabrielle Wittkop sont le plus souvent intérieurs: mais rares sont les intériorités qui produisent un écho si assourdissant, si repoussant. Attention: si ce livre ne vous tombe pas des mains, il risque de vous sauter à la figure.

Le chemin des personnages est une histoire qui se répète, relents sordides d'une mort prochaine, longs pélerinages impuissants vers la certitude toujours ignoble de la tombe. Aussi la mort est-elle la véritable héroïne de ces deux récits, héroïne qui se cache et se fait désirer, qui minaude, se laisse approcher pour nous rappeler enfin à notre sort de pantins.

La mort sans fin

Le récit qui donne son nom au livre est le plus court des deux, et le moins convainquant. La mort de C. y est déclinée selon différentes versions: l'auteur tisse autour de cette mort toutes les fictions possibles, cherche les circonstances, modifie le contexte. Il nous fait éprouver le fait brut de la disparition en le mettant à l'épreuve de souvenirs probables. Au milieu de ces répétitions, le narrateur à l'air d'attendre de savoir comment l'éternité va réagir aux provocations rhétoriques de l'imagination, à la tentative de ressusciter l'ultime moment de l'évanouissement. Mais cet exercice tourne un peu au procédé: à force de faire du personnage une simple marionnette, le récit perd un peu consistance. Ne reste alors que la mauvaise odeur du détritus qui meurt.

Le royaume des ruines

"Le puritain passionné" est plus réussi: le personnage se découvre une passion pour un tigre, pour le Tigre, jusqu'à ce qu'il désire se jeter dans la gueule dévorante de cette passion, et pour de bon. Gabrielle Wittkop montre avec une précision extrème la manière dont l'horlogerie de la conscience se détraque lentement, pour ne devenir finalement qu'un champ de ruine, oeuvre auto-destructrice dans laquelle viennent se sublimer tous les instincts.

Le détail des descriptions rappelle ici Joris-Karl Huysmans: hérésie et éréthisme se confondent dans cette étrange passion pour l'animal, dans ce refus définitif de se sauver. Le maniérisme de l'écriture s'allie parfaitement avec la noble folie de ce sacrifice, et l'esthétisme relevé des rêveries du héros souligne la profondeur de l'engagement masochiste, jusqu'à l'ironie finale d'une mort manquée. Comme si la détermination la plus extrème n'entamait jamais en rien l'irrémédiable liberté qu'a la mort de tuer, quand elle veut, où elle veut.

Tel qu'en lui même enfin l'atrocité le change

Il y a dans cette écriture des élévations gothiques, des soubressauts de ruines, et les lourdeurs étouffantes d'un ciel trop bas. À vouloir saisir l'image de l'homme dans la boue, on se condamne parfois à l'enlisement: le seul avantage indéniable des marécages - matière qui forme ici le pain quotidien de la psychologie - c'est qu'on ignore leur profondeur…

Cependant la manière dont la mort révèle sa présence est fascinante: la défiguration de l'humain n'est pas ici gratuite, mais oeuvre dans cette transfiguration littéraire qui donne à sentir l'impensable. Comme si tout entreprise littéraire n'était finalement qu'un long testament.