La vérité fait du nudisme
L'éloge paradoxal est un exercice périlleux. Certains y brillent de toute leur juste impertinence, tel Erasme et son Eloge de la folie. Mais d'autres savonnent la planche sur laquelle leur esprit cherche à danser, et ce qui doit arriver arrive malheureusement.
Voici un titre ronflant et prometteur. La paresse: évidemment, chacun est intrigué, chacun se sent de la partie. Enfin quelqu'un qui va justifier les heures que j'offre habituellement à ma mauvaise conscience! Enfin quelqu'un qui va me rappeler à tous les délices de l'oisiveté, toutes les richesses que recèle le plaisir du devoir inaccompli. Enfin quelqu'un qui ne se prend pas au sérieux et qui va même jusqu'à caricaturer la lourdeur des titres officiels…
Sauf qu'il n'y a pas dans ce titre la moindre distanciation. Evidemment, le projet contenu dans l'intitulé est provocateur, mais on ne s'en prend pas moins au sérieux. En 1921, Malevitch est chef de file de l'Unovis: "Affirmation des nouvelles formes de l'art". Les titres pompeux sont un maniérisme de l'époque dont il est coutumier et qu'il ne doit pas manquer lui-même d'affectionner. D'autre part, son activité de théoricien officiel de son propre art lui prend désormais beaucoup plus de temps que son activité de créateur, l'essentiel de sa carrière consiste maintenant en une "épuration" de sa réflexion.
Pensée à vide
Nous voici donc dans la réflexion pure: on nous annonce la "vérité effective" de l'homme. Des vérités, ce petit texte en recèle des tonnes! Plage de naturisme pour vérités toute nues. Seulement, pour filer la métaphore, toutes ne sont pas neuves ni reluisantes; des vérités toutes nulles. L'idée que la société nous force à travailler pour atteindre un idéal dans lequel plus personne ne travaille; l'idée que le capitalisme offre ce paradis de fainéantise à quelques uns tout en forçant les autres à cravacher sans relâche; l'idée que le socialisme, lui, fait travailler tout le monde dans l'espoir d'un paradis collectif. Toutes ces vérités se promènent balourdement sur la page, pas même déguisées, tout juste avancées sous forme d'arguments.
Si encore le ton de cet essai était plus enjoué, si la paresse y apparaissait autrement que comme un "concept", si l'auteur pointait là un des sujets surlesquels les hommes peuvent le mieux s'entendre… Non seulement la paresse n'est abordée que du point de vue de ses implications politiques, mais encore elle ne donne lieu à aucune analyse réelle. Il n'y a qu'à la tout fin que l'idée nous est suggérée que la paresse pourrait représenter une forme de travail sur soi, analogue à celle que l'artiste est censé pratiquer. Rien de bien poussé. Aussi, apparaît elle finalement comme la vérité effective de cet éloge.