Toute une montagne…
Le discours du prix Nobel de littérature était déjà un peu décevant, quoique sincère. Mais cet entretien avec Denis Bourgeois, touchant de tout et de n'importe quoi, confine presque à la futilité. On y sent certes une dyssymétrie entre un créateur d'expérience et un théoricien flambeur, entre une écriture vivante et de vaines digressions, mais le tout se ressent de ce déséquilibre, aboutissant malgré quelques efforts de rhétorique à un livre bancal.
Le titre du livre en reflète bien le leitmotiv: revenir au réel. Il ne s'agit pas d'une défense du réalisme académique, mais d'un témoignage relatif à l'expérience de l'écriture. Ecrire c'est se sentir vivre, au coeur du réel. Les deux écrivains partagent cette conviction et la parcourent de long en large, avec plus ou moins de lourdeur. Mais sous prétexte de ne jamais faire de théorie littéraire - le terme de "littérature" étant lui-même, de façon péremptoire, jugé inadéquat - la question du rapport entre écriture et réalité reste abordée de manière très fuyante.
Des géants dans le néant
D'une manière générale, cet entretien glisse sur de nombreuses questions (de la réalité socio-politique à l'intimité de la création artistique), mais toutes ces interrogations s'évanouissent dès qu'une tentative de réponse est faite. Les deux egos qui s'entretiennent, opérants comme deux tourbillons géants, digèrent tous les problèmes et obligent à en revenir toujours à l'expérience singulière de chacun. Cette manière de faire a l'avantage de forcer les interlocuteurs à une certaine lucidité sur leur manière d'écrire, mais elle finit aussi parfois par enfermer dans un discours narcissique tout fait, qu'on s'excuse discrètement de prononcer en affirmant que cette vanité est le propre de l'écriture…
Le maître et le bon élève
Les deux écrivains ne sont pourtant pas à mettre sur le même plan, et deux profils se dégagent nettement. On sent chez Gao Xingjian un réel plaisir gratuit de l'écriture, une attention très fine à tous les aspects de l'écriture, un scrupule permanent quand à l'intégrité de la liberté d'expression. Toute une concentration qui crée autour de ses discours une atmosphère d'extrème lucidité. La possibilité de s'exprimer dans différentes formes artistiques (de la peinture à la dramaturgie) lui donne une aisance indiscutable dans sa manière de rapporter la vie à l'art, via l'imagination. Chez Denis Bourgeois, il y a certes un plaisir omniprésent d'écrire, mais ce plaisir tourne souvent à l'arbitraire. En outre, s'il revendique constamment la mise à l'écart de toute idée et de toute théorie, on sent un jeu avec des références universitaires devenues classiques, mimant la nouveauté dans l'interprétation, simulant la modernité dans l'exécution, manière quelque peu fanfaronne de tourner en rond. On pourrait presque faire un bêtisier de toutes les platitudes qui sont ici déployées sous le signe de la révélation.
L'expérience du bide ?
Cet entretien manque de contradiction entre les interlocuteurs. Il y a ça et là quelques idées intéressantes concernant la manière d'aborder la création, et la difficulté qu'il y a à assumer son rôle d'artiste, mais les deux discours se font face dans un parallélisme un peu monotone. Il est souvent question de la jouissance d'écrire, mais cette jouissance devient presque impudique tant elle est peu partagée dans l'acte de lire.